samedi 5 juillet 2008

La chronique économique : Pétrole et spéculation

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 2 juillet 2008


Alors que le baril de pétrole fait tranquillement route vers les 150 dollars, le débat à propos du rôle supposé des spéculateurs dans cette flambée des cours du brut est plus que jamais d’actualité.

On sait, par exemple, que les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) estiment que c’est la spéculation qui est responsable de cette hausse même si d’autres facteurs sont cités comme, par exemple, la dépréciation continue du dollar américain, le manque de capacités de raffinage, sans oublier la progression constante de la demande pétrolière en provenance des pays émergents.

Le spéculateur : une définition variable

Du côté des pays consommateurs on ne rejette pas l’hypothèse d’une responsabilité des spéculateurs. Mais, à la différence de l’Opep, on explique souvent qu’elle ne fait que suivre un mouvement de fond qui serait provoqué par le refus des pays producteurs de pomper plus de pétrole afin de faire baisser les prix. En tout état de cause, le débat est loin d’être tranché et l’une des raisons de cette différence d’appréciation réside dans la manière dont les uns et les autres définissent les spéculateurs. Pour le grand public, au Nord comme au Sud, le spéculateur est le «méchant» dont les opérations vont à l’encontre de l’éthique et de la morale.
Qualifier un investisseur de spéculateur est loin d’être un compliment et, par les temps qui courent, c’est même une mise en cause sérieuse.

Le problème, c’est que les acteurs des marchés et de tout ce qui gravite autour, n’ont pas du tout la même perception. La littérature consacrée aux Bourses explique, par exemple, que le spéculateur est indispensable au marché puisqu’il en garantit la liquidité. Explication: pour qu’un marché financier fonctionne bien -contrairement, par exemple, à la Bourse d’Alger-, il faut pouvoir acheter ou vendre des titres à tout moment. Cela s’appelle le besoin de liquidités et, en prenant des risques, le spéculateur apporte cette huile indispensable aux rouages boursiers.
D’autres analyses vont plus loin. Dans une étude récente, les experts de Goldman Sachs expliquent que le spéculateur est un intervenant qui agit au gré des informations qu’il détient ou des hypothèses qu’il formule à la suite de la prise en compte de plusieurs éléments d’informations même incomplètes (*).

Ce n’est donc pas un parieur, ni un manipulateur, termes qui sont souvent associés à la spéculation. Mieux, pour Goldman Sachs, la spéculation doit être prise en compte par les autres opérateurs car elle leur apporte des informations sur les fondamentaux du marché. En clair, si des acteurs sont acheteurs sur le marché pétrolier -ce qui signifie qu’ils anticipent une poursuite de la hausse- c’est parce qu’ils estiment que la demande pétrolière mondiale va continuer de progresser tandis que l’offre va stagner. On doit donc écouter ce que les spéculateurs ont à dire plutôt que de les critiquer…

Une influence exagérée

Bien entendu, il faut relativiser ce discours. Le spéculateur n’est ni un ange, ni un philanthrope et, quoiqu’en disent les défenseurs acharnés de l’efficience du marché, son action relève souvent de la manipulation et du pari pur et simple, l’objectif étant de maximiser ses gains même si cela n’a aucun rapport avec la cohérence économique. Quand les prix d’un actif financier s’emballent, sans raison apparente, c’est que quelqu’un, quelque part, l’a décidé et qu’il a mis en oeuvre tous les moyens pour y arriver: l’histoire récente des marchés en témoigne qu’il s’agisse de la bulle internet ou des variations sur les prix des denrées alimentaires.

Reste à connaître l’impact de la spéculation dans la hausse du brut. A ce sujet, et compte tenu des différences d’appréciation quant à la nature du spéculateur, les estimations divergent. Pour les uns, dans le prix actuel du baril, 20 dollars au maximum sont à mettre sur le dos de la spéculation. Pour les autres, c’est entre 40 et 60 dollars. Admettons que ces derniers aient raison. Cela signifierait que le «vrai» prix du baril serait au minimum de 80 dollars, soit un niveau élevé qui montre bien que la spéculation n’est finalement que l’écume qui accompagne la vague.

(*) Speculators, Index investors and commodity prices, 29 juin 2008.

lundi 2 juin 2008

La chronique de l'économie : géopolitique des sables bitumineux

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 28 mai 2008

- Focus sur le pétrole non-conventionnel dont l'une des caractéristiques est que ses principales réserves ne se trouvent pas au Proche-Orient.



Alors que les cours du pétrole se dirigent tranquillement vers les 150 dollars, une information à propos d’une nouvelle découverte de la compagnie pétrolière Eni est presque passée inaperçue. En début de semaine dernière, la « major » italienne a annoncé avoir découvert un gisement de sables bitumineux en République du Congo. Montant estimé des réserves : 7 milliards de barils dont l’exploitation pourrait débuter en 2011. Il fut un temps où ce type d’annonce n’aurait présenté aucun intérêt mais, aujourd’hui, les sables bitumineux font l’objet d’une véritable course de vitesse à l’échelle mondiale. Commençons par expliquer de quoi il s’agit. En matière de pétrole, on peut distinguer le brut conventionnel et le non-conventionnel. Dans le premier cas, il s’agit du pétrole habituel que l’on peut exploiter normalement d’un bout à l’autre de la planète. Inutile de rappeler que dans cette catégorie, les pays du Golfe, et de façon plus générale ceux de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), tiennent le haut du pavé en matière de réserves prouvées.

Le Canada et le Venezuela, géants du brut non-conventionnel

A l’inverse, le pétrole non-conventionnel nécessite des technologies d’extraction et de raffinage plus coûteuses. Et ce n’est que parce que le baril de pétrole est actuellement à 130 dollars qu’il est rentable d’exploiter ce type d’hydrocarbures. Dans le cas des sables bitumineux, il s’agit d’un pétrole quasiment solide qu’il est nécessaire de liquéfier pour pouvoir le transporter et le raffiner. La problématique est identique pour le pétrole ultra-lourd qu’il faut aussi fluidifier avant de l’exploiter.Ce qu’il y a d’intéressant avec ces pétroles non-conventionnels, c’est que leur géopolitique diffère totalement de celle des hydrocarbures classiques. En matière de sables bitumineux et de pétrole ultra-lourd, les pays de l’Opep sont loin derrière, puisque le Canada et le Venezuela détiennent à eux seuls la moitié des réserves avec respectivement 269 et 179 milliards de barils. Alors que les Etats-Unis possèdent 37 milliards de barils de réserves de brut non-conventionnel, l’Arabie saoudite (qui possède un cinquième des réserves mondiales d’or noir classique) n’en compte que 5 milliards de barils contre 3 milliards au Koweït et 4 milliards pour l’Iran.Cette répartition géographique d’une toute autre nature, explique pourquoi les Etats-Unis sont très attentifs à l’évolution technologique en matière d’exploitation des sables bitumineux. Pour l’administration américaine, les gisements de l’Alberta au Canada sont la garantie que, demain, leur économie aura les moyens d’échapper à l’influence des pays membres de l’Opep, Arabie saoudite en tête. En résumé, les sables bitumineux canadiens sont, pour Washington, un atout dans la perspective de l’épuisement annoncé des ressources pétrolières conventionnelles.

Un coût terrible pour l’environnement

Le problème, pour le Canada (et les Etats-Unis), c’est que l’exploitation des sables bitumineux est une catastrophe environnementale. Pour traiter une tonne de sable et liquéfier le pétrole, il faut user huit tonnes d’eau, le tout pour obtenir, dans le meilleur des cas, quelques dizaines de baril de brut qu’il faut ensuite traiter à l’hydrogène pour le transformer en carburant. Les résidus de telles opérations sont hautement toxiques et l’on comprend pourquoi l’exploitation des sables bitumineux fait l’objet de nombreuses controverses, cela d’autant plus qu’elle augmente les émissions de gaz à effet de serre (ges) au Canada, l’un des pays qui a signé et ratifié le Protocole de Kyoto. Dès lors, on réalise que la bataille autour de ce texte n’est pas seulement liée à des enjeux industriels (les entreprises ne veulent pas être contraintes en matière d’émission de ges). C’est aussi parce qu’il est un obstacle à l’exploitation intensive des sables bitumineux que le Protocole de Kyoto est combattu par les Etats-Unis.

Akram Belkaïd

vendredi 14 mars 2008

La chronique économique : le blues de l'industrie du disque

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 12 mars 2008

C’est un chiffre qui en dit long sur l’état calamiteux du marché de la musique. Aux Etats-Unis, 48 % des adolescents n’ont pas acheté le moindre CD musical en 2007 contre 38 % l’année précédente. Cela signifie qu’une grande majorité d’entre eux ont encore eu recours au téléchargement illégal sur internet. Ce phénomène n’est pas près de s’estomper et de nombreux experts estiment que nous en sommes à l’aube de bouleversements majeurs qui pourraient bien faire disparaître l’industrie du disque.

En effet, avec la montée en puissance de l’internet à haut débit et la progression incessante des capacités de stockage, il n’y a aucune raison pour qu’un CD légalement acheté ne se démultiplie pas en millions de copies pirates aux quatre coins de la planète.

Les dégâts du piratage sur internet

Un autre chiffre est encore plus parlant : il y aurait plus d’un milliard de titres téléchargés illégalement chaque mois dans le monde, soit l’équivalent de plusieurs dizaines de milliards de dollars de pertes financières pour les éditeurs de musique. Ces derniers accusent donc le coup et paient ainsi le prix de leurs erreurs.

La première, la plus ancienne, a été sans conteste l’arrogance de cette industrie qui continue encore d’imposer des produits à prix élevés, alors qu’une grande partie du public s’en détourne et cherche la gratuité même si elle passe par des moyens illégaux.

La seconde erreur réside dans le fait que les producteurs de musique ont longtemps négligé le piratage, estimant à tort qu’il n’était qu’une maladie infantile de l’internet. Lorsque les courbes de vente ont définitivement plongé et qu’il s’est avéré qu’un public de plus en plus jeune n’achetait plus de CD, il était déjà trop tard.

Enfin, la réaction brutale (plaintes pénales, harcèlement juridique,...) de l’industrie du disque contre les pirates, parfois de jeunes adolescents, a été contreproductive et a abouti à l’effet inverse avec des internautes qui, du jour au lendemain, sont devenus solidaires avec leurs pairs poursuivis pour avoir téléchargé de la musique de manière illégale.

Pour autant, et malgré le peu de sympathie que l’on peut éprouver vis-à-vis de la traditionnelle âpreté au gain des majors de la musique, il faut tout de même rappeler que le piratage est à l’origine de la destruction de plusieurs milliers d’emplois. Par sa faute, des auteurs ont tout simplement été lâchés par leurs maisons de disque qui ne les considéraient plus comme rentables.

Plus grave encore, il existe certains secteurs totalement sinistrés comme c’est le cas pour la musique classique. Le piratage mais aussi les compilations à bas prix, freinent le développement de cette branche particulière qui vit actuellement sur ses acquis et la masse conséquente de ses enregistrements passés. Mais cette profusion est trompeuse puisqu’elle cache une réalité inquiétante : il y a très peu de disques de musique classique de bonne qualité qui sont actuellement enregistrés et le déclin semble bel et bien entamé.

Une nouvelle stratégie

Les « majors » sont-elles condamnées ? Pas si sûr. Comme l’ont fait d’autres entreprises dans d’autres secteurs d’activité, elles s’adaptent en essayant de mettre au point de nouvelles stratégies. D’abord, elles ont décidé d’être plus ou moins tolérantes avec les jeunes pirates, en axant leur discours sur l’éthique et le respect du travail des artistes. Aux Etats-Unis, cela donne quelques résultats puisque les téléchargements légaux de musique sur internet ont progressé de 21 % en 2007 par rapport à l’année précédente.

Ensuite, l’industrie du disque est en train de se transformer en industrie du concert. Les artistes qui signent avec un label doivent le plus souvent s’engager à faire des tournées qui s’avèrent souvent très rentables au plan financier. Si un CD peut-être piraté, il faut débourser en moyenne 80 euros pour voir jouer un artiste en live. A terme, l’album de musique pourrait même devenir gratuit et ne constituer qu’un simple produit d’appel pour les concerts.

Akram Belkaïd

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dimanche 9 mars 2008

La chronique économique : Unilever, acteur et révélateur de la mondialisation

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 5 mars 2008

La vie interne et la transformation continue des multinationales sont, sans conteste, une large source d’enseignements et peuvent même s’avérer bien plus instructives que nombre d’analyses géopolitiques. C’est le cas par exemple d’Unilever, ce géant de l’agroalimentaire et des produits de grande consommation, dont chaque mouvement sur l’échiquier global ne passe jamais inaperçu.


Il y a quelques jours, cette firme, présente sur les cinq continents, a annoncé que son conseil de direction ne comporterait plus de membres de nationalité britannique ou néerlandaise. L’annonce n’a rien d’anodin car c’est bien une page qui se tourne dans l’histoire de ce groupe, dont les origines et la matrice sont anglo-hollandaise. En effet, c’est en 1930 que la société anglaise Lever - qui fabriquait alors des savons et des produits d’entretien - a fusionné avec Unie, qui, de son côté, fabriquait de la margarine aux Pays-Bas.

INTERNATIONALISATION DES DIRIGEANTS

Le fait qu’Unilever ne comptera plus parmi ses hauts dirigeants de membres ayant l’une de ses deux nationalités « originelles » confirme que les grandes multinationales deviennent peu à peu des transnationales, passant au-dessus des Etats et des drapeaux, et étant même capables - cela arrivera bien un jour - de s’acheter une terre pour en faire leur propre « pays ».

Mais il n’y a pas que cette question de l’aspect hors-nationalité des grandes sociétés. Ce qu’il y a d’intéressant dans le cas Unilever, c’est que le nouveau conseil de direction comportera 7 membres, dont un Français, trois Américains et, surtout, deux Indiens et un Zimbabwéen. Voilà, représentée de manière concrète, une autre réalité de la mondialisation. Jusqu’à présent, on parlait beaucoup des cadres supérieurs qui passaient d’un continent à l’autre. Aujourd’hui, ce sont les directions des grands groupes qui deviennent internationales. Il y a vingt ans, qui aurait pu prédire que l’un des patrons d’Unilever serait de nationalité indienne ? Et ce n’est qu’un début en attendant que Chinois, Vietnamiens ou Egyptiens ne rejoignent le cercle fermé des grands dirigeants d’entreprises globalisées.

Ces dernières sont-elles pour autant multiculturelles ? Le débat n’est pas tranché. Ce qui lie des Français, des Américains, des Indiens et un Zimbabwéen à la tête d’une grande entreprise comme Unilever, c’est avant tout le partage des mêmes conceptions de l’économie de marché et de la nécessité de rémunérer comme il se doit les actionnaires. Bref, la vision libérale de l’économie est le premier ciment qui peut unir ces hommes.

Pour autant, même s’il a été éduqué dans les plus grandes écoles occidentales, un haut cadre indien n’aura jamais une vision exactement identique à celle de son homologue américain ou français. Du coup, la manière dont ces multinationales font cohabiter ces nationalités est donc, à elle seule, un vaste sujet d’étude dont la partie visible est le développement fulgurant des activités de conseil en environnement multiculturel.

CAP SUR LES PAYS EMERGENTS

L’autre annonce d’Unilever, qui mérite d’être signalée, concerne sa décision de créer une grande division incluant non seulement l’Asie et l’Afrique mais aussi l’Europe de l’Est qui, jusque-là, était rattachée à la division d’Europe de l’Ouest. Cette réorganisation témoigne de la volonté d’Unilever d’axer ses efforts sur les pays émergents, là où les niveaux de consommation restent bien en deçà de ce qui existe dans les pays développés. Unilever n’est pas la seule transnationale à opérer ce basculement, et cela promet de grandes batailles à coup de millions de dollars pour le contrôle des marchés émergents.

Pour des pays qui tentent, vaille que vaille, de s’insérer dans le commerce international, c’est le cas par exemple du Maroc ou de la Tunisie, le mouvement d’Unilever démontre qu’il est temps pour eux de commencer à regarder vers l’Est et le Sud plutôt que de tout miser sur les marchés européens et nord-américains, qui sont certes les plus solvables mais aussi les plus saturés et les plus limités en matière de potentiel de développement. C’est ce qui explique, entre autres, pourquoi de nombreux pays du Sud tentent aujourd’hui de signer des accords de libre-échange entre eux.

lundi 3 mars 2008

La chronique de l'économie : Agflation

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 27 février 2008

Le terme n’est pas nouveau -il a été utilisé au début des années 1970 - mais il commence à peine à entrer dans le langage commun. En contractant agriculture et inflation, il désigne la hausse brutale des prix des produits agricoles et alimentaires, un phénomène dont on parle désormais aux quatre coins de la planète, avec tout ce que cela englobe comme tensions sociales et défis imposés aux gouvernements.

A la fin de l’été dernier, la « grève des pâtes », lancée en Italie pour dénoncer la hausse des prix de cet aliment incontournable pour les Italiens n’a ainsi été qu’un maillon parmi tant d’autres dans la longue chaîne des protestas qui, de la Chine au Mexique, ont poussé des milliers de personnes à investir la rue pour manifester contre cette inflation d’un genre nouveau.

C’est le cas aussi en France où une récente enquête vient de mettre en exergue des hausses de prix stupéfiantes pour certains produits alimentaires comme les laitages ou les céréales (plus de 30 % en quelques mois). Certes, pour cet exemple précis, il est difficile de savoir si le problème réside en amont, c’est-à-dire au niveau des producteurs ou alors en aval, c’est-à-dire au niveau des distributeurs ou des intermédiaires.

Mais le plus important, c’est que ces hausses n’ont pu intervenir que parce qu’il existe bel et bien une tendance haussière des matières premières agricoles, phénomène qui encourage certains opérateurs économiques à profiter de l’aubaine.

Les explications à propos de l’agflation sont nombreuses et complémentaires. La première est la plus logique mais aussi la plus inquiétante. Dans un monde globalisé, où la population de la planète ne cesse d’augmenter alors que les surfaces cultivées diminuent, il est normal, par effet mécanique, d’assister à la hausse des prix agricoles, la demande étant plus importante que l’offre. De plus, la mondialisation fait se diffuser et s’uniformiser les modes de consommation de manière plus rapide. Hier, la Chine et l’Inde réussissaient à préserver leurs modèles d’alimentation traditionnelle.

Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : laitages, céréales voire même café et chocolat sont presque autant recherchés par leurs consommateurs qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Résultat, il existe aujourd’hui une compétition pour l’acquisition de produits alimentaires qui, sans être aussi féroce que celle existant pour le pétrole, est certainement appelée à s’exacerber.

La seconde explication réside dans les conséquences pour le moins néfastes des accords de libre-échange signés par des pays à vocation agricole. C’est le cas par exemple du Mexique, l’un des principaux producteurs mondiaux de maïs et dont les récoltes sont en chute libre parce que ses paysans ne peuvent pas lutter contre les importations de produits américains lesquels, signalons-le au passage, bénéficient de subventions huit fois plus élevées que celle que Mexico accorde à ses agriculteurs.

Résultat, ces derniers remplacent leurs cultures de maïs ou de céréales par du pavot ou de la marijuana et c’est ainsi que le Mexique est en passe actuellement de devenir le premier producteur mondial de cette plante. Voilà comment la combinaison du libre-échange et le trafic de drogue contribuent à l’agflation en encourageant la disparition de cultures de produits alimentaires.

Enfin, la lutte contre le réchauffement climatique a parfois des mauvais côtés. La montée en puissance des biocarburants ou, pour être plus précis, des agrocarburants est aussi responsable de l’agflation. En favorisant le marché du carburant « propre », certains agriculteurs ont fait le choix de l’automobile contre celui de l’alimentation de l’être humain.

Il y a d’ailleurs là un véritable problème éthique qui n’est pas suffisamment abordé : comment peut-on privilégier la voiture au détriment de l’alimentation dans le monde ? Conséquence : dans les pays les plus pauvres, le Programme alimentaire mondial de l’ONU, le PAM, n’arrive plus à répondre à la demande. En vendant leur production à des fabricants d’éthanol, les agriculteurs n’avivent pas simplement l’agflation, ils contribuent à aggraver le drame de la faim dans le monde. C’est l’un des scandales majeurs de notre monde globalisé.

mercredi 20 février 2008

Chronique économique : Pressions sur les fonds souverains arabes

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 20 février 2008

C’est donc l’Australie qui, la première, vient d’ouvrir le feu sur les fonds souverains qui persisteraient à rester sourds aux critiques et mises en garde les concernant à propos de leur opacité. En effet, Canberra vient d’édicter six règles destinées à «améliorer la transparence» des investissements étrangers réalisés sur son sol.

L’un des points les plus importants concerne le fait que les autorités australiennes examineront de près le niveau d’autonomie du fonds souverain vis-à-vis du gouvernement de son pays. On comprend le souci des dirigeants australiens. S’ils ne refusent aucun investissement étranger, ils souhaitent tout de même avoir un droit de regard sur les entrées de capitaux qui seraient motivées par une décision politique extérieure.

Cette exigence résume à elle seule le grand bras de fer qui se profile entre, d’une part, les nations industrialisées et, de l’autre, les fonds souverains arabes, russe et asiatiques. Les premières aimeraient que les seconds soient plus transparents, rendent publics leurs avoirs, détaillent leurs stratégies d’investissement et ne taisent pas leurs opérations.

Autant de «demandes» que les fonds souverains considèrent comme une atteinte à leur liberté d’autant que d’autres investisseurs, à commencer par les fonds spéculatifs ou «hedge funds», ne se voient imposer aucune contrainte. De même, ne comprennent-ils pas cette soudaine levée de boucliers alors qu’ils existent, pour certains d’entre eux, depuis plusieurs décennies.

En fait, c’est bien parce que les fonds souverains ont changé qu’ils inquiètent. Jusqu’à ces dernières années, ils investissaient leurs avoirs dans des placements sûrs et peu risqués à l’image des bons du Trésor américains voire européens (notamment le «bund» allemand). Mais leur stratégie a quelque peu changé depuis le début du siècle. Ces fonds n’hésitent plus à faire leurs emplettes sur des segments un peu plus risqués mais a priori plus rémunérateurs comme le marché boursier ou celui des changes. Deux environnements jugés stratégiques par les nations industrialisées.

Pour ce qui est des Bourses, la crainte est que des fonds souverains opèrent un contrôle rampant des fleurons des économies industrialisées. Une telle peur s’est par exemple matérialisée lorsque le fonds souverain d’Abu Dhabi (Abu Dhabi Investment Authority ou Adia) a déboursé plus de 7 milliards de dollars pour acquérir 4,9% du capital de Citigroup, la première banque américaine.

A l’époque, de nombreuses informations ont fait état du fait que Adia aurait souhaité prendre une part plus grande dans «Citi» mais qu’il a renoncé parce que toute acquisition de plus 5% du capital de la banque aurait permis à la Securities and Exchange Commission (SEC, le gendarme boursier américain) de mettre son nez dans la transaction.

Face aux critiques, les fonds souverains arabes ont des réponses quelque peu différentes. Celui du Koweït, l’un des plus anciens au monde puisqu’il a été créé en 1953, met en avant sa relative transparence et son fonctionnement autonome vis-à-vis des autorités politiques. Il faut dire que ce fonds a connu une cuisante expérience lorsqu’il avait tenté de prendre le contrôle du pétrolier britannique BP dans les années 1990 avant de faire machine arrière face au refus de Margaret Tatcher d’accepter une telle opération.

Quant aux autres fonds, qu’il s’agisse de celui d’Abu Dhabi, de Dubaï ou du Qatar, ils ne peuvent guère se targuer de leur transparence et encore moins d’une autonomie par rapport aux familles régnantes. En effet, il est toujours difficile de faire la part des choses entre les avoirs du fonds et ceux des dirigeants.

Du coup, ces fonds avancent un autre argument assez convaincant. Ils répètent à l’envi que leurs investissements sont destinés à préparer l’après-pétrole et qu’il ne s’agit pour eux en aucune façon de prendre le contrôle des économies occidentales. Une manière intelligente de se différencier d’autres fonds, notamment russe et chinois, qui eux ne cachent guère leur volonté de s’imposer en tant que bras armés de leurs gouvernements.

Akram Belkaïd

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vendredi 15 février 2008

La chronique économique : Le marché devant, les institutions internationales loin derrière

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 13 février 2008
Akram Belkaïd

Les crises financières se suivent et, finalement, se ressemblent en cela qu'elles sont toujours suivies par les mêmes promesses d'ivrognes. Prenez la récente réunion du G7. Comme il fallait s'y attendre, les grands de ce monde (cette notion étant de plus en plus discutable car des pays comme la Chine, l'Inde ou le Brésil auraient aussi leur place dans ce club fermé) nous ont encore gratifiés de déclarations lénifiantes sur la nécessité de mettre en place des mécanismes préventifs pour la détection des crises.

Reprenez les communiqués qui avaient suivi l'explosion de la bulle internet ou, plus loin encore, ceux qui avaient été émis après la bourrasque asiatique de 1997, et vous trouverez les mêmes mots, les mêmes formules volontaristes.

Et puisque l'on parle de la crise asiatique, qui se souvient de la création, à l'époque, du Forum de stabilité financière, un « machin » qui regroupe des banquiers centraux et dont on entend parler de temps à autre ? Et c'est ce Forum que le G7 vient de ressortir en l'engageant à travailler « de manière plus rapprochée » avec le Fonds monétaire international (FMI) afin d'identifier « les vulnérabilités » du système financier et « d'améliorer les mécanismes d'alerte précoce. » Et patati, et patata...

Personne ne contestera que ni le Forum de stabilité financière et encore moins le FMI n'ont vu venir la crise du crédit hypothécaire américain. Le premier peut se prévaloir de quelques excuses dont celle qui consiste à déplorer son manque de moyens financiers.

L'affaire est un peu plus compliquée pour le Fonds monétaire dont le directeur général, Dominique Strauss-Kahn, affirme que cette institution a bel et bien vu venir la crise des « subprime » mais qu'elle n'a peut-être pas été suffisamment audible.

C'est peut-être vrai car, concernant le FMI, il n'est pas idiot de se demander si quelqu'un l'écoute encore. En mal de pays débiteurs, discrédité par la crise asiatique et incapable de se réformer, le FMI a perdu de son aura et cela entame sa crédibilité vis-à-vis des marchés financiers.

En réalité, il faudrait appeler un chat un chat et convenir que les institutions internationales comme les gouvernements ont perdu l'ascendant sur ce qu'elles ont contribué à créer. En un mot, le politique comme les autorités de supervision sont à la traîne derrière un marché débridé qui, hier encore avait déjà une longueur d'avance mais qui aujourd'hui en a trois ou quatre.

Malgré leurs beaux discours, les fonctionnaires du FMI comme les membres du Forum de stabilité financière, voire comme les banquiers centraux, en sont réduits à attendre que cela se passe pour réagir. Et après la crise, il leur est toujours facile d'édicter quelques lois, lesquelles seront de toutes les façons inefficaces puisqu'elles ne remettront pas en cause la sacro-sainte dérégulation des marchés.

Ce qui se passe actuellement dans le secteur bancaire illustre bien le manque d'ascendant des institutions internationales sur le marché. Quand le G7 fait mine de s'énerver en exigeant des banques qu'elles publient toutes leurs pertes dues aux « subprime », on réalise soudain que quelque chose va mal car, naïvement, on pourrait penser que les règles comptables et prudentielles commandent à tout établissement bancaire de publier ses comptes sans attendre les supplications du G7. Le fait même que l'on ne sache pas si le total de ces pertes, pour l'industrie bancaire, est de 120 milliards de dollars ou de 400 milliards de dollars, montre bien à quel point le système est dévoyé.

En attendant, pour reprendre les propos de Mario Draghi, le gouverneur de la Banque d'Italie et le président du Forum de stabilité financière, les quinze prochains jours vont être cruciaux puisque c'est durant ce laps de temps que de nombreuses banques vont publier leurs comptes certifiés pour l'année 2007. Et dans cette affaire, qu'il s'agisse de la Société Générale, d'UBS ou d'autres, le pire est bien possible...